Un procès-verbal de police ne constitue pas un élément de preuve infaillible pour licencier un salarié
En principe, un élément de preuve obtenu de manière illicite ne peut pas être admis en justice pour justifier le licenciement d’un salarié sauf si l’employeur invoque expressément que le rejet de cette preuve porterait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. L’employeur ne pouvait donc pas prouver la réalité de la faute qu’il reprochait au salarié en se fondant sur un P-V de la police obtenu irrégulièrement sans soutenir que son rejet aurait porté atteinte à son droit à la preuve.
Un conducteur de bus est licencié pour avoir téléphoné et fumé au volant tel que constaté par un P-V de police grâce à des vidéos remises par l’employeur
Un salarié conducteur de bus est licencié pour faute grave après avoir téléphoné au volant et fumé dans le bus.
L’employeur avait eu connaissance de ces faits dans un contexte particulier.
Le salarié avait initialement déposé plainte après avoir remarqué la disparition d’un bloc de tickets dans un bus qu’il conduisait. Cela avait amené l’employeur à remettre aux services de police les bandes du système de vidéoprotection équipant les véhicules.
La police, après visionnage de ces bandes, avait constaté des infractions au code de la route et rédigé un procès-verbal établissant que le salarié avait téléphoné au volant et fumé dans le bus. Ce P-V avait ensuite été remis à l’employeur.
Le salarié a contesté son licenciement au motif que celui-ci était basé sur une preuve illicite. Il a obtenu gain de cause.
Par principe, les éléments de preuve obtenus de manière illicite ne permettent pas de justifier un licenciement
En cas de contentieux entre un employeur et un salarié, c’est à celui qui se prévaut, par exemple, d’un fait à l’encontre de l’autre d’en apporter la preuve devant le conseil de prud’hommes (c. proc. civ. art. 9).
Mais, les éléments de preuve rapportés par les parties doivent être licites dans le cadre du respect du principe général de loyauté de la preuve.
Dans le contexte d’un licenciement, si les éléments de preuve rapportés par l’employeur pour justifier le fondement même de ce licenciement sont illicites, la rupture du contrat est alors sans cause réelle et sérieuse (cass. soc. 4 juillet 2012, n°11-30266, BC V n°208).
Dans cette affaire, les juges du fond, appuyés par la Cour de cassation, ont constaté le caractère illicite de l’élément de preuve sur lequel l’employeur s’est appuyé pour justifier les faits ayant motivé le licenciement pour faute grave du salarié.
De fait, l’employeur n’aurait jamais dû avoir en sa possession le procès-verbal établi par la police ; seul élément étayant la réalité de la faute reprochée au salarié.
L’employeur avait obtenu le P-V sans respecter la procédure admise
Ce P-V était issu d’une procédure pénale initiée par la plainte pour vol de tickets déposée par le salarié. L’employeur n’était donc qu’un tiers à cette procédure. De ce fait, il n’était pas autorisé à disposer de cette pièce sans autorisation du procureur de la République en vertu des règles applicables en procédure pénale (c. proc. pén. art. R. 156 abrogé ; c. proc. pén. art. R. 170). Or, comme l’employeur l’a lui-même reconnu, la police lui a remis ce document dans le cadre informel des relations qu’il entretenait avec elle pour les besoins de son activité.
Le P-V sur lequel s’appuyait l’employeur pour justifier le licenciement du salarié était donc déjà en soi élément de preuve illicite.
L’employeur n’aurait pas dû transmettre la vidéo du bus à la police, ni s’en servir à l’encontre du salarié
Les juges ont enfoncé le clou en relevant que les enregistrements de vidéosurveillance ayant permis de constater les faits reprochés au salarié n’auraient jamais dû être remis à la police en vertu de la charte de la vidéoprotection en vigueur dans l’entreprise.
L’article 4 de cette charte, ne permettait la remise des enregistrements qu’en cas d’infraction ou de perturbation afférente à la sécurité des personnes. Or, il s’agissait uniquement ici de l’allégation d’un vol de titres de transport sans violences. La police n’aurait donc jamais dû être destinataire de ces images.
En outre, dans l’article 3-3 de la charte, l’employeur s’était engagé à ne pas recourir au système de vidéoprotection pour apporter la preuve d’une faute du salarié lors d’affaires disciplinaires internes. L’employeur n’aurait donc jamais dû licencier le salarié sur le fondement d’éléments issus de la vidéosurveillance.
Le P-V qui constituait la seule preuve fournie par l’employeur pour justifier le licenciement ayant été obtenu de manière illicite, il était donc irrecevable. Peu importe pour les juges, que l’employeur n’ait usé d’aucun stratagème pour obtenir ce P-V.
Le licenciement était donc sans cause réelle et sérieuse.
Par exception, une preuve illicite est recevable sous conditions si l’employeur en fait la demande
Comme le rappelle la Cour de cassation dans sa décision du 8 mars 2023, une preuve jugée illicite peut néanmoins justifier un licenciement à la double condition que (cass. soc. 30 septembre 2020, n° 19-12058 FSPBRI ; cass. soc. 25 novembre 2020, n° 17-19523 FPPBRI ; cass. soc. 10 novembre 2021, n° 20-12263 FSB) :
-sa production soit indispensable à l’exercice du droit de la preuve de l’employeur ;
-et que l’atteinte aux droits du salarié, à la supposer établie, soit proportionnée au but poursuivi.
Cela ressort du principe du caractère équitable de la procédure.
Mais encore faut-il que l’employeur ait soutenu devant les juges que le rejet de la preuve illicite pouvait porter atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Or, dans cette affaire, comme le relève la Cour de cassation, cela ne ressortait ni de l’arrêt de la cour d’appel, ni des pièces de la procédure.
Les juges du fond, comme le confirme la Cour de cassation, n’avaient donc pas à se prononcer sur cette question.
Cass. soc. 8 mars 2023, n° 20-21848 FSB