Une mise à pied conservatoire « tardive » peut invalider un licenciement pour faute grave ultérieur
La mise à pied conservatoire qui intervient tardivement après l’engagement de la procédure de licenciement présente un caractère disciplinaire si elle n’est pas justifiée par de nouveaux faits fautifs. Le licenciement pour faute grave prononcé à l’issue de la procédure est alors sans cause réelle et sérieuse.
La mise à pied conservatoire doit être prononcée le plus tôt possible dans la procédure disciplinaire
Si un salarié commet une faute suffisamment grave, l’employeur peut le mettre à pied à titre conservatoire (c. trav. art. L. 1332-3). À la différence de la mise à pied disciplinaire, la mise à pied conservatoire est une mesure d’attente, et non une sanction disciplinaire, qui permet notamment à l’employeur de mener une enquête interne ou d’écarter le salarié pour éviter qu’il dissimule ou détruise des preuves.
La mise à pied conservatoire doit être prononcée au plus tôt dans la procédure disciplinaire, en général au moment de la convocation à l’entretien préalable. Il est admis que l’employeur notifie une mise à pied conservatoire à l’issue de l’entretien préalable, dans l’attente de la réception de la lettre de licenciement (cass. soc. 4 mars 2015, n° 13-23228 D).
Notons que si l’engagement de la procédure est tardif par rapport au prononcé de la mise à pied conservatoire, l’employeur peut s’en justifier, par exemple, par la nécessité d’attendre la remise d’un rapport d’enquête interne (cass. soc. 14 septembre 2016, n° 14-22225 D). En l’absence de justification, la mise à pied conservatoire est requalifiée en mise à pied disciplinaire et le licenciement pour faute grave ultérieur, prononcé pour les mêmes motifs, devient sans cause réelle et sérieuse (cass. soc. 30 octobre 2013, n° 12-22962, BC V n° 256 ; cass. soc. 2 février 2022, n° 20-14782 D).
Qu’en est-il, dans l’hypothèse miroir, à savoir quand une mise à pied conservatoire est prononcée tardivement après l’engagement de la procédure de licenciement ? Celle-ci doit-elle s’analyser en une mise à pied disciplinaire ? L’employeur peut-il s’en justifier pour éviter cette requalification ?
Pour les juges d’appel, l’attente de l’avis d’une commission de discipline ôtait le caractère tardif de la mise à pied conservatoire
Dans cette affaire, un employeur avait convoqué, le 6 juillet 2015, un salarié à un entretien préalable à sanction disciplinaire qui s’était tenu le 16 juillet 2015.
Conformément aux dispositions de la convention collective applicable, l’employeur avait ensuite saisi une commission consultative paritaire pour avis motivé sur la sanction envisagée, à savoir un licenciement pour faute grave.
La commission avait rendu son avis le 28 août 2015 et le même jour, l’employeur avait mis à pied le salarié à titre conservatoire dans l’attente de son licenciement intervenu le 7 septembre 2015. Le salarié avait saisi la justice pour demander que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse. Selon lui, au regard des dispositions conventionnelles applicables (convention commune La Poste – France Telecom, art. 75), la mise à pied conservatoire prononcée après l’avis de la commission disciplinaire avait nécessairement un caractère disciplinaire. Il ne pouvait donc plus être licencié ensuite pour les mêmes faits.
La cour d’appel avait néanmoins validé le licenciement en considérant que l’employeur, tenu de recueillir l’avis motivé de la commission consultative paritaire (convention commune La Poste – France Telecom, art. 74), avait donc mis à pied à titre conservatoire le salarié, le jour où, grâce à cet avis, il avait eu la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés.
Elle en conclut que la mise à pied n’avait pas été prononcée tardivement et qu’elle ne revêtait donc aucun caractère disciplinaire.
À tort, puisque la Cour de cassation casse la décision.
Pour la Cour de cassation, la mise à pied tardive présente un caractère disciplinaire en l’absence de nouveaux faits fautifs
La Cour de cassation rappelle qu’en application de la règle « non bis in idem », un salarié ne peut être sanctionné deux fois pour les mêmes faits.
Et pour elle, le salarié avait bien dans cette affaire été sanctionné deux fois, une première fois par la mesure de mise à pied, une seconde fois par le licenciement.
En l’espèce, constatant que la procédure disciplinaire avait été engagée le 6 juillet 2015, l’entretien préalable réalisé le 16 juillet 2015 et la mise à pied conservatoire prononcée seulement le 28 août 2015, sans que l’employeur n’invoque de faits nouveaux postérieurs au 6 juillet 2015, la cour d’appel aurait dû considérer que la mise à pied avait un caractère disciplinaire et en déduire que le licenciement ultérieur pour faute grave, motivé par les mêmes faits, était sans cause réelle et sérieuse.
En d’autres termes, seuls des faits fautifs nouveaux (et suffisamment graves) survenant après l’engagement de la procédure disciplinaire peuvent justifier le prononcé tardif de la mise à pied conservatoire.
À défaut, au regard du délai écoulé depuis l’engagement de la procédure disciplinaire (plus d’un mois et demi), la mise à pied prononcée ne peut plus être une mesure d’attente, peu important le fait que l’employeur ait dû attendre l’avis d’une commission de discipline.
L’affaire sera rejugée devant une autre cour d’appel.
Cass. soc. 22 mars 2023, n° 21-15648 D