L’employeur peut modifier les tâches d’un salarié pour lui en confier d’autres conformes à sa qualification
Si le salarié ne démontre aucune rétrogradation, ni déclassification et a conservé sa rémunération, il n’y a pas de modification de son contrat de travail mais un simple changement de ses conditions de travail. Sa prise d’acte est donc qualifiée de démission et non de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Distinction entre la modification des conditions de travail et la modification du contrat de travail
L’employeur peut imposer aux salariés un changement de leurs conditions de travail dans le cadre de son pouvoir de direction (à l’exception des salariés protégés).
En revanche il ne peut pas imposer une modification du contrat de travail, car le contrat s’impose aux parties et il ne peut être modifié que d’un commun accord.
Mais la différence entre les deux est parfois ténue et même les juges peuvent s’y tromper.
Illustration avec une affaire de prise d’acte de la rupture du contrat, avec une position des juges du fond qui a évolué au gré des arrêts d’appel.
À noter : rappelons que la prise d’acte par le salarié rompt immédiatement le contrat de travail. La rupture est ensuite soit qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse, lorsque les reproches faits à l’employeur sont justifiés, soit qualifiée de démission s’ils ne le sont pas.
Une modification de fonctions non acceptée par le salarié
Cette affaire concernait un cadre qui avait occupé les fonctions de vice-président business partners d’une grande société, avant de se voir confier en 2011 les fonctions de business développement executive d’un grand compte en affaire avec celle-ci.
Le salarié n’avait pas donné son accord à un tel changement. Ces nouvelles fonctions ne lui convenant pas, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 30 janvier 2012, puis saisi le conseil de prud’hommes le 5 juin afin de faire qualifier la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Devant les juges du fond, il a dans premier temps obtenu gain de cause avec à la clef environ 800 000 € au titre de diverses sommes (indemnité de licenciement, rémunération variable, dommages et intérêts, etc.), mais l’arrêt de la cour d’appel du 7 mars 2017 avait été cassé par la Cour de cassation le 9 janvier 2019 et renvoyé devant la même cour d’appel autrement composée (cass. soc. 9 janvier 2019, n° 17-17689 D).
Cette fois, la cour d’appel a statué en faveur de la société : la prise d’acte avait été qualifiée de démission et non plus de licenciement sans cause réelle et sérieuse (CA Versailles 15 avril 2021, n° 19/01123).
Le salarié a saisi à son tour la Cour de cassation mais sans succès.
Pour le salarié la modification de son contrat de travail lui avait été imposée
Selon le salarié, les nouvelles fonctions qui lui avaient été confiées étaient radicalement différentes des précédentes. Il estimait :
-qu’elles étaient inférieures aux précédentes ;
-qu’il avait été privé de tout management (ce qu’il attribuait à un avertissement qui lui avait été infligé en 2011) ;
-qu’il ne bénéficiait plus d’une assistante à temps plein mais seulement à temps partiel ;
-que dans la structure hiérarchique, il était désormais placé plus bas de deux degrés qu’auparavant ;
-et enfin qu’il avait été déclassé car il était sans objectif chiffré et sans budget de dépenses dans la masse salariale.
Il s’agissait donc selon lui bien d’une modification de son contrat de travail qui lui avait été imposée sans son accord, et non d’une simple modification de ses conditions de travail.
Au final, le salarié soutenait que sa prise d’acte était justifiée, de sorte qu’elle devait bien être qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pour les juges, il s’agissait d’un simple changement de conditions de travail qui n’implique pas l’accord du salarié
La Cour de cassation rappelle que l’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, peut changer les conditions de travail d’un salarié et que la circonstance que la tâche donnée à un salarié soit différente de celle qu’il exécutait antérieurement, dès l’instant qu’elle correspond à sa qualification, ne caractérise pas une modification du contrat de travail.
Or la cour d’appel avait constaté que du fait des nouvelles fonctions transversales confiées en 2011, la position du salarié était inchangée, qu’il n’avait subi aucune rétrogradation ni déclassification démontrée et avait conservé sa rémunération fixe en 2011.
Ce changement de fonction ne constituait pas une modification du contrat de travail du salarié, de sorte qu’il s’imposait au salarié. La prise d’acte de la rupture du contrat de travail n’était donc pas justifiée et produisait donc les effets d’une démission.
Le salarié est donc condamné à verser à la société 84 594 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis puisqu’il ne l’avait pas effectué.
Pour l’anecdote, signalons que l’affaire n’est pas entièrement terminée puisque la cour d’appel avait déclaré à tort que les demandes du salarié titre de la rémunération variable pour l’année 2011, qui avaient été reformulées devant elle étaient irrecevables. L’affaire sera donc à nouveau jugée mais sur ce seul point devant une autre cour de renvoi.
Cass. soc. 25 janvier 2023, n° 21-18141 D